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Réflexions

L’entreprise et le PPP de la prospérité

Texte du Journal Les Affaires – Publié 25 janvier 2015

Écrit par Monsieur Robert Dutton, entrepreneur en résidence de l’École d’Entrepreneurship de Beauce

Je l’ai écrit dans ces pages à quelques reprises : l’entreprise est la clé de la prospérité d’une société. C’est essentiellement dans l’entreprise que se créent la richesse et la croissance. Et, nous l’oublions trop souvent, c’est d’abord par l’entreprise que cette richesse et cette croissance sont ensuite distribuées.

C’est une chose que de confier à l’entreprise cette mission cruciale. C’en est une autre de savoir comment y parvenir.

Pour aller à l’essentiel, je suggère que les dirigeants soient obsédés par le PPP de la prospérité : Productivité, Pérennité, Partage.

Productivité, d’abord.

On perçoit généralement la productivité dans sa dimension « macro » : on compare entre eux les pays ou les régions, ou encore les grands secteurs de l’économie. Cette perception engendre la recherche de solutions également « macro ». En d’autres termes, des solutions essentiellement politiques : un bon système d’éducation, des institutions financières stables, une fiscalité fournissant les meilleurs incitatifs, des infrastructures physiques de qualité.

Mais une étude conjointe du McKinsey Global Institute (MGI) et du Centre for Economic Performance de la London School of Economics (CEP), menée pendant 12 ans sur 14 000 entreprises de 30 pays révèle que 80 % des variations de productivité entre les entreprises surviennent au sein des pays et des grands secteurs économiques, et non pas entre eux. Les différences sont expliquées par la qualité des pratiques managériales : organisation et procédés, investissement dans la formation, etc.

L’accroissement soutenu de productivité est la raison d’être de l’entreprise, et doit donc être au cœur des préoccupations du dirigeant. Qu’ils soient des entrepreneurs-propriétaires ou des professionnels au service d’une multinationale, les actions des dirigeants sont les premiers déterminants de la productivité d’une entreprise et, par conséquent, d’un secteur, d’une région ou d’un pays. Si de bonnes politiques publiques facilitent l’action des dirigeants et accroissent leur impact, de mauvaises politiques ne sont pas une excuse pour tolérer la médiocrité des pratiques de gestion.

L’étude de MGI et de CEP a révélé que les multinationales avaient en général les meilleures pratiques (et une productivité supérieure), peu importe le pays où elles se trouvent. Ce qui indique qu’il est possible d’adopter avec succès les meilleures pratiques dans des environnements politiques moins favorables à l’entreprise.

Pérennité

Qui dit croissance de productivité dit innovation et remise en question systématiques. Cela suggère la « destruction créatrice » et le darwinisme économique : le destin d’une entreprise serait de disparaître à relativement brève échéance pour être remplacée par une nouvelle, mieux adaptée. Pourtant, n’est-ce pas un signe de succès qu’une entreprise traverse les générations? À 73 ans, Bombardier est déjà une « vieille » entreprise qui s’est déjà réinventée quelques fois, donnant tort à ceux qui avaient annoncé sa mort. Au cours de ses 103 ans d’existence, IBM s’est aussi réinventée plus d’une fois pour faire mentir les prophètes de malheur. Et que dire de la capacité d’adaptation d’une Sumitomo, fondée à Kyoto au XVIIe siècle pour exploiter un détaillant de remèdes et de livres? Humble petit commerçant, le fondateur Masatomo Sumitomo (1585-1652) avait de la vision, de la perspective, et pensait à long terme. D’emblée il écrivit ses « préceptes » à l’intention de ses successeurs. L’honnêteté, la prudence et la saine gestion y figurent toujours en évidence.

Le succès durable doit plus à la vision qu’à la chance ou au coup de génie. Il démontre que l’innovation et la « destruction créatrice » peuvent s’accomplir de façon interne. Il prouve qu’on peut mettre en place des mécanismes de gouvernance et une culture qui se projettent dans la durée, sans pour autant tolérer la sous-performance. Le succès est patient. Mais d’une patience qui ne tolère pas la médiocrité.

Partage

Troisième facteur, sans doute le plus négligé dans l’équation de la prospérité. L’entreprise doit partager la valeur qu’elle crée. Parmi ses actionnaires, cela va de soi. Mais avec beaucoup d’autres acteurs aussi.

Car l’entreprise est davantage qu’une « propriété », davantage qu’un actif. Elle est un milieu social, elle est au centre d’un écosystème qui dépasse ses seules activités économiques. L’entreprise est une création de la société. Elle n’a pas été inventée pour le seul enrichissement des actionnaires, mais plutôt pour mobiliser ceux-ci au service de l’enrichissement de la collectivité. Si essentielle soit-elle, la recherche du profit n’est qu’un moyen à cette fin.

Le partage de la richesse issue de la productivité permise par l’entreprise doit donc dépasser les seuls actionnaires. Doivent y participer également les employés, les fournisseurs et les clients. Le partage devrait aussi s’étendre aux milieux d’accueil, définis au sens le plus large.

Il en découle que l’entreprise doit créer significativement plus de valeur qu’elle n’en détruit, lorsque les coûts et bénéfices sociaux sont pris en compte. L’activité de l’entreprise ne peut se limiter au simple prélèvement de valeur sur l’environnement social ou physique, voire sur l’avenir et la pérennité de l’entreprise.

Productivité, pérennité, partage : voilà une nouvelle version du PPP, qui fournit au dirigeant d’entreprise une liste de contrôle qui lui permet de vérifier ses progrès.