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Réflexions

S’adapter ou se réinventer?

Originalement publié sur Les Affaires

Si la forêt brûlait et que vous étiez au milieu, vous prendriez vos jambes à votre cou pour en sortir le plus vite possible et espérer survivre. Il existe toutefois des situations où rester dans le feu — au sens figuré — est nécessaire. En fait, la résilience de l’entrepreneur, comme celle de l’être humain, est un processus qui nécessite de ressentir la brûlure assez profondément pour se donner l’occasion d’un vrai changement ; une seconde peau.

J’ai assisté récemment à la conférence de Bree Groff de SYPartners à C2 Montréal et j’ai pensé aux entrepreneurs à qui on a répété, je ne sais combien de fois, depuis le début de la crise sanitaire: il faut vous réinventer. Ok, va pour certains. Est-ce que ça peut cependant se faire du jour au lendemain? La réponse est non. Et ce n’est pas uniquement lié à des questions de dollars, de ressources ou de marché.

La résilience ne peut venir qu’après la souffrance et il est nécessaire de la ressentir et de l’intégrer pour acquérir la capacité de rebondir, nous a rappelé Bree Groff. Si on fuit une situation douloureuse, on peut créer du changement, mais il risque d’être en surface, comme une adaptation de passage. En soi, ça peut être correct de faire des masques en tissu en attendant que les consommateurs se remettent à acheter des vestons chics. Or voilà, c’est une adaptation et non une réinvention.

La réinvention ou la transformation ne peut survenir qu’au bout d’un processus plus profond. Le choc est arrivé avec la pandémie. Vous aviez prévu plein de projets porteurs et tout a été balayé par la fatalité. Vous êtes peut-être au bord de la faillite et on vous dit, que dans votre secteur, il faudra patienter deux ans avant qu’une reprise s’installe. Avant de lever les voiles vers un autre horizon, il y a quelques étapes à vivre.

D’abord, le lâcher-prise. Pour le faciliter, Bree Groff suggère de poser des gestes apparentés aux rituels du deuil. Garder un souvenir agréable. Se raconter les histoires du bon vieux temps. Avoir de la gratitude pour ce qui a été vécu de beau dans cette aventure.

Ensuite, pour initier le changement et s’ouvrir à de nouvelles perspectives, quoi de mieux que les travaux manuels qui reposent la tête, les promenades, la musique ou l’écriture ? Dans ces zones où on prend le temps de vivre au présent, un nouvel espace se crée en soi. Il importe donc de prendre soin de soi. Et parallèlement, d’être authentique avec son équipe: à quel point le feu ravage l’entreprise? Quels canaux de communication on crée pour s’entraider dans l’épreuve?

Petit à petit, on peut se défaire de l’idée que le passé de l’entreprise ressemblera à son futur. On peut entrevoir une lueur d’espoir, se raconter une autre histoire, détecter les zones de plaisir, écrire une nouvelle vision, accueillir un horizon de possibilités. Tourner son regard vers l’avant, après avoir laissé au passé ce qui lui appartient.

J’ai aimé la proposition de Bree Groff parce qu’elle permet de ramener l’humanité de l’entrepreneur au cœur de sa démarche. Lire partout la nécessité de se réinventer, comme si tout n’était qu’une histoire de dollars à gagner, fait ombrage à l’essentiel et crée une pression de performance dans une zone où l’être humain devrait en être dégagé. Vivre sa tristesse et son découragement, ce n’est pas une course contre la montre. C’est un passage obligé, inhérent à la recréation de soi et de ses projets de vie.

Où en êtes-vous, entrepreneurs, après plus de 7 mois de crise et d’incertitude? Besoin de prendre un temps pour lâcher prise, pour accueillir la tristesse, la déception, la frustration? Besoin d’aller marcher sans but pour créer de l’espace en vous?