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Entrepreneurs Inspirants

Ces entrepreneurs qui changent le monde: Louis Roy pdg d’Optel

Influencer le comportement des grandes entreprises et des consommateurs pour susciter des changements positifs sur les plans social et environnemental, c’est la mission que s’est donnée Louis Roy, pdg d’Optel. En réponse aux enjeux mondiaux que sont la réduction du gaspillage et l’achat éthique, Optel utilise l’intelligence artificielle pour rendre les chaînes d’approvisionnement transparentes et performantes. Nommé l’Entrepreneur de l’année d’EY 2017 du Canada, Louis Roy a autofinancé une multinationale.

 

«J’ai pensé à ce dont la société a besoin pour avoir un impact positif.»

— Louis Roy, pdg d’Optel

 

Être pionnier dans son secteur, qu’est-ce que ça exige ?

J’ai démarré la compagnie il y a 30 ans en me donnant pour mission d’avoir un impact sur le monde. Je cherchais les moyens les plus productifs d’y arriver. Ma mission est très empathique, centrée sur les autres. Or, cette empathie m’a posé des problèmes: j’avais du mal à être compétitif. J’ai dû consulter des psychologues sportifs pour comprendre ma dynamique. Pour avoir un impact, je devais cesser de voir mes concurrents comme des ennemis, mais plutôt comme des élèves. Je serais celui qui les amènerait plus loin. Au début, nos compétiteurs me voyaient comme un fou ; maintenant, ils commencent à passer le même message qu’Optel. C’est un signe de notre impact. Je reste honnête avec moi-même : je ne suis pas le méchant qui veut tuer la compétition. Mon but est d’amener les autres à devenir meilleurs.

 

Il y a un côté missionnaire dans ce que tu proposes. La mission et la profitabilité, était-ce difficile à concilier pour toi?

Pour avoir vécu en Afrique et vu des missionnaires et des activistes, j’ai constaté qu’ils avaient peu d’impact.

Le monde est fait par des entrepreneurs ; très peu d’entreprises sans but lucratif participent à la construction du monde. Avoir un plus gros impact passe surtout par les entreprises à but lucratif, qui sont capables de réinjecter de la valeur dans leur entreprise. Alors, dès le début, c’était clair qu’Optel serait une entreprise à but lucratif qui utiliserait son pouvoir, donc l’argent généré, pour croître encore plus, augmenter son impact et créer une spirale vertueuse.

 

As-tu eu l’impression de prêcher dans le désert avec ton désir de réduire l’empreinte écologique et sociale?

Tout à fait ! Pendant plusieurs années, même mon entourage proche me disait que j’étais fou ! Mais en 2016, j’ai décidé de mettre ma mission de l’avant. Je sentais que le timing était bon pour qu’on devienne une B CORP (certification pour entreprises qui répondent à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance et de transparence). Les préoccupations écologiques et sociales prenaient plus de place en Europe, et même aux États-Unis, où la Californie parlait de taxe carbone. Avant 2016, j’implantais mes valeurs à l’interne et dans ma vie familiale, mais je ne savais pas encore clairement comment les mettre en pratique chez Optel. Il m’est arrivé de penser vendre l’entreprise et de lancer une fondation, mais j’ai toujours su que l’impact serait moindre. En 2016, j’ai pris le pari qu’en étant le leader mondial de la traçabilité, mon entreprise serait à la base de la transformation des chaînes d’approvisionnement pour les rendre plus transparentes quant aux impacts environnementaux et sociaux. À partir de là, j’ai pu utiliser Optel comme vecteur de changement.

 

Comment as-tu vécu cette difficulté à afficher pleinement ce que tu souhaitais ?

Que le monde me juge, ça ne me dérange pas. Même à l’intérieur de l’entreprise, je ne sens pas toujours que tout le monde est d’accord avec la direction que je prends. J’ai reçu plusieurs démissions, j’ai perdu des clients, j’ai vécu des chocs culturels, mais j’ai une indépendance face à ça. Un bon missionnaire va à l’encontre de tout et continue d’avancer!

 

Quand ta vision a été communiquée, qu’est-ce que cela a changé pour l’entreprise ?

Quand j’ai mis ma vision en place, j’ai causé un traumatisme dans la compagnie. Beaucoup de questionnements, de scepticisme et de roulement de personnel se sont ensuivis. C’était un pivot, un changement de plan d’affaires, car j’allais ailleurs que dans la pharmaceutique. J’ai créé un chaos, et c’était pénible. J’étais résolu et je pouvais le faire, car j’étais (et je suis toujours) propriétaire de cette entreprise à 100%. J’étais convaincu que c’était le chemin de notre croissance, et qu’elle serait encore fulgurante dans les 10 prochaines années. Mais je suis parti d’une vision à laquelle aucun client n’adhérait. Maintenant, on a un pipeline de 1,5 milliard $ dans nos projets.

 

Les gens de ton équipe avaient-ils peur de perdre des contrats, de perdre la face?

Oui, forcément. L’équipe qui devait raconter aux clients qu’Optel devenait une B CORP, que le patron s’en allait aux Nations unies, qu’il voulait changer le monde et s’affichait sur des programmes de lutte aux changements climatiques, ça choquait. L’équipe était préoccupée par l’environnement, mais elle avait peur du changement et du jugement, de se faire dire «ton boss est fou !». Ça supposait à la fois un changement de paradigme et de technologie. Il a donc fallu un an ou deux avant que les membres de l’équipe embarquent.

 

Quel regard poses-tu sur les stratégies utilisées?

Je suis parti d’une intuition très forte. Je n’ai pas suivi les règles conventionnelles, étant donné que ma mission était d’avoir un impact. Idéalement, je serais arrivé avec un plan d’affaires au jour 1, ce qui aurait sécurisé beaucoup de monde. Or, si j’avais attendu que tout soit clair et que mes clients adhèrent à ma vision, il aurait été trop tard. Dans les faits, nous sommes arrivés juste au bon moment, sinon nous aurions peut-être manqué les gros contrats que nous négocions actuellement.

Habituellement, il faut partir du besoin du client. Je me suis plutôt demandé de quoi la société avait besoin, à quoi elle ressemblerait demain et où il fallait aller pour avoir un monde durable. Je suis donc parti d’un plan vers les futurs besoins des gens en matière d’approvisionnement. Après, j’ai fait l’arrimage avec le client, en mettant l’intelligence artificielle dans les chaînes d’approvisionnement pour augmenter leur performance et leur transparence. Être un acteur de changement, ce n’est pas servir le client dans son état actuel : c’est amener le client vers une vision future qui sera bonne.

 

Qui a été le plus difficile à convaincre : clients ou financiers?

Les financiers, je n’ai pas réussi à les convaincre. Pas encore. Malgré les beaux mots, ils n’ont pas d’intérêt pour la mission. Ça revient toujours à «combien d’argent fais-tu?». Je ne sens pas encore chez eux une vision très systémique de la société, où elle s’en va. Mon entreprise est autofinancée jusqu’ici (été 2020).

Du côté des clients, nous sommes chanceux. Évidemment, avec mon implication dans le World Economic Forum, on se retrouve avec des leaders de grandes corporations comme Unilever et Danone, qui ont la même vision que nous. C’est vraiment rafraîchissant. Tout mouvement de changement commence par les quelques leaders qui le créent.

«Je suis parti d’une vision à laquelle aucun client n’adhérait. Maintenant, on a un pipeline de 1,5 milliard $ dans nos projets.»
– Louis Roy pdg d’Optel

Quand tu regardes le monde, as-tu l’impression que le grand changement viendra des plus petites entreprises ou des plus grandes ?

Nous, notre pari est basé sur le fait que si les gros changent, ils auront un impact sur leurs milliers de fournisseurs. Ça va donc débouler, et l’impact sera exponentiel. C’est notre pari, notre approche. Cela ne nous empêchera pas d’essayer d’explorer le marché des PME.



À quoi rêves-tu pour la suite ?

Présentement, nous sommes en déploiement. Notre rêve, c’est de connecter les acteurs de la chaîne d’approvisionnement pour :

  • créer encore plus de transparence ;
  • savoir d’où viennent les biens que nous consommons ;
  • connaître leurs impacts sociaux et environnementaux ;
  • mettre en place l’économie circulaire.

Le système de gestion des déchets, qui est relié à la chaîne d’approvisionnement, il faut l’améliorer. Les inventaires perdus, les retours de produits périmés, c’est horrible. Nous misons donc sur deux volets:

  • la transparence de la chaîne d’approvisionnement et son optimisation environnementale et sociale ;
  • la performance.