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Veille & Tendances

Préparer son entreprise vers 2030

Tous les chefs d’entreprise d’expérience le disent : la cadence des changements augmente. Qui dit changement, dit adaptation. À cela s’ajoute une plus grande dose de volatilité. Dans ce monde incertain et imprévisible, il faut développer des organisations agiles et résilientes. Quatre chefs posent leur regard vers 2030 et révèlent leurs façons de se préparer aux défis du futur.

 

Marc Dutil

Être proactif et ouvert

Marc Dutil est président de Canam et fondateur de l’École d’Entrepreneurship de Beauce. Il fait partie des leaders curieux qui lisent beaucoup, qui écoutent, qui participent à des groupes de gens d’affaires locaux et internationaux et qui assistent à des conférences pour garder leurs antennes sensibles à l’environnement et à son évolution. Il consacre 25 % de son temps à ces activités. Lorsqu’on lui demande ce qu’il surveillera le plus attentivement dans l’environnement externe pour repérer les éléments perturbateurs, il nous ramène à ce qui se passe à l’interne. « C’est là, dit-il, qu’on développe les muscles pour gérer les défis qui surgissent de l’extérieur. »

 

« Ma job, à l’interne, c’est de détecter et de résoudre rapidement les problèmes, peu importe leur nature (produit défectueux, client insatisfait, machine brisée), note le dirigeant. Quand il y a de l’agilité, le cycle rapide de résolution peut s’appliquer tout autant à l’externe. Donc, s’il arrive un krach boursier ou un changement de politique tarifaire, la vitesse du cycle de résolution est capitale. »

Pour Marc Dutil, il faut constamment avoir l’ouverture d’imaginer que les modèles d’affaires changeront. Même s’il ne peut prédire comment ils changeront, le patron porte la responsabilité de s’assurer que son organisation possède la maturité et la flexibilité de réagir.

Pour y arriver, Canam a changé ses systèmes de gestion et les comportements qui y sont associés. Plus d’autonomie a été donnée aux équipes,

l’information — qui constitue un pouvoir — a mieux circulé et un dialogue franc s’est installé. Toutes les parties prenantes ont dû réapprendre les pas de la danse.

« On l’a fait à force d’ateliers pendant lesquels on s’est secoués. Ça nous a pris deux ans. Plusieurs n’ont pas adhéré à ça, mais ceux qui l’ont fait sont ressortis avec un coffre à outils. Ils sont maintenant capables de partager la culture d’entreprise et de s’impliquer dans la résolution de problèmes », remarque M. Dutil.

 

Jean Laflamme

Viser la collaboration et la flexibilité

La complexité des enjeux auxquels les entreprises font face et la rapidité avec laquelle les changements se produisent désormais, ne serait-ce que sur le plan technologique, commandent des modes de gestion très différents de ceux d’autrefois, croit Jean Laflamme, président de South Shore.

 

« Ce n’est plus un one-man show. On a besoin de l’expertise de tous, et les membres de l’équipe doivent avoir une compréhension plus large de l’entreprise. Donc, il faut que plus de cerveaux soient à l’affût des changements. Le partage de l’information prend plus de temps, mais c’est fini les silos, et les spécialistes deviennent plus généralistes », explique le fabricant de meubles, dont le siège social est situé à Sainte-Croix, dans la région de Lotbinière.

M. Laflamme insiste aussi sur la nécessité d’écouter, en tant que dirigeant. Il est motivé par l’idée de bâtir une organisation résiliente, capable de s’adapter plus vite que la concurrence. D’ailleurs, South Shore a été un pionnier dans la vente de meubles en ligne, il y a quelques années. Aux États-Unis, où son marché est le plus développé, ses ventes ont
bondi de 90 % au printemps lors de la pandémie. L’entreprise a renouvelé son modèle d’affaires en 2020 en devenant un agrégateur. Autrement dit, South Shore a ouvert sa plateforme numérique et son marché aux autres fabricants de meubles et aux créateurs d’accessoires de maison québécois.

Pour favoriser la résilience, Jean Laflamme mandate des membres de son équipe pour s’informer sur de nouvelles technologies et pour faire part de leurs découvertes à leurs collègues. Ensuite, le cycle transactionnel est utilisé pour réaliser des simulations, en imaginant qu’une technologie nouvelle viendrait changer la donne.

« On modélise ainsi notre futur. On essaie de travailler en voyant l’innovation de rupture qui va changer notre business », explique M. Laflamme. Ce dernier place l’évolution du modèle d’affaires
au cœur de sa planification stratégique. Finies les années où l’entreprise élaborait des plans
pour cinq ou dix ans ; la prévisibilité économique d’autrefois a disparu et l’évolution de la technologie a atteint une vélocité inégalée.

 

Geneviève Biron

Se montrer agile

Chez Biron Groupe Santé, le contexte de changements rapides a favorisé un mode de gestion différent. En 2018, l’entreprise a adopté la méthode OKR (Objectives and Key Results), développée chez Intel, qui s’avère plus répandue dans les entreprises du milieu technologique.

« On se sent beaucoup mieux équipés pour agir rapidement. On livre des projets plus vite qu’avant. On en priorise moins, mais toute l’équipe se concentre sur les mêmes choses. Ça amène beaucoup de vélocité et de focus. Et ça réduit le stress, parce qu’on est plus en contrôle. On n’a pas l’impression qu’on “subit”, parce qu’on est en mode proactif », observe la présidente, Geneviève Biron.

 

L’entreprise de Brossard, fondée en 1952 par son père, est engagée dans la numérisation de ses activités, avec une visée d’interconnectivité entre sa structure de données et sa structure applicative. Cette transformation permettra d’améliorer ses façons de faire et de gagner en productivité, en plus d’ajouter de la valeur pour la clientèle, en rendant les services plus accessibles.

« Se transformer, autant dans le modèle d’affaires que dans la manière d’offrir ses services, doit maintenant être vu comme un mode de fonctionnement », estime Mme Biron.

« On ne fait plus de sprints de changements, car aujourd’hui, c’est un rythme soutenu. C’est un marathon : on garde la cadence. » Mme Biron a adopté la plani- fication stratégique en continu pour toujours voir douze trimestres à l’avance tout en ajustant ce qui n’a pu être anticipé.

Solidifier ses assises financières est tout aussi important pour résister aux vents de face. Selon Geneviève Biron, malgré l’omniprésence de la volatilité, les leaders doivent avoir le courage d’investir pour se transformer. Leur survie à long terme en dépend.

 

Albert Dang-Vu

Bâtir des relations

Mirego est née dans la cadence rapide du changement, en 2007 – la même année que l’arrivée du premier iPhone. Cette entreprise accompagne ses clients dans leur transformation numérique. « Prendre plaisir à s’adapter au changement » fait partie de ses valeurs.

« La seule constante dans notre industrie, c’est que ça va changer. Et c’est sûr que ça va aller plus vite », dit le président, Albert Dang-Vu.

 

Il entrevoit que les entreprises auront de plus en plus de difficulté à réunir à l’interne toute l’expertise numérique nécessaire à leur progression. Entre ERP, CRM, applications et intégration, qui veut se contenter de talents moyens, quand ces technologies créent des avantages concurrentiels ?

« Même nous, comme entreprise technologique, nous devons choisir dans quoi nous voulons être les meilleurs et nous démarquer, plutôt que de risquer de devenir moyens dans tout. C’est le défi des prochaines années », croit le chef d’entreprise, porté par l’humilité de reconnaître que ce qu’il sait aujourd’hui peut être dépassé demain.

Dans un univers où l’obsolescence n’est jamais loin, il perçoit plusieurs possibilités de partenariats et de collaborations guidées par des chefs de grandes entreprises qui feront appel à de plus petites pour bâtir des univers numériques au service des clients.

« Il faut être curieux, vif d’esprit et bâtir des relations à long terme. C’est ce qui fait la différence. Les relations, c’est au-delà des projets à réaliser. Cet entourage solide permet de traverser les périodes d’adversité », estime M. Dang-Vu.

Cet article est tiré de notre magazine anniversaire Être d’avenir